12 Novembre 2019

Rosetta et Philae : 5 ans après, quelles découvertes ?

Le 12/11/2014, le monde entier retenait son souffle. Après 6 milliards de kilomètres parcourus à travers notre système solaire, le petit atterrisseur Philae se détachait de la sonde Rosetta pour atterrir sur Tchouri, une comète dont nous ne connaissions rien mais qui commençait tout juste à nous surprendre. 5 ans après cet atterrissage mouvementé, les données récoltées lors de la mission continuent à livrer leurs secrets.

 

Plus d’un millier d’articles parus, des conférences, des séminaires, et 5 ans après, une mission citée en exemple, une icône des voyages spatiaux d’exploration … Rosetta faisait pourtant partie de ces projets qui relèvent littéralement du plan sur la comète. Quand la mission a été lancée en 2004, Tchouri (ou 67P/ Churuymov-Gerasimenko de son vrai nom) n’était qu’un point lumineux dans l’immensité de l’espace. « Forme, masse, densité, composition, interaction avec son environnement : toutes ces données nous étaient totalement inconnues ! » indique Philippe Gaudon, ancien chef de projet Rosetta. « Nous avions juste une idée approximative du diamètre – 4 km – et de sa durée de rotation – 12 h. »

Que de chemin parcouru depuis le lancement, et surtout depuis l’atterrissage de Philae et les 2 ans de Rosetta passés en orbite autour de la comète. « Beaucoup de nos questions ont trouvé des réponses ! » Mais comme toute mission scientifique, beaucoup d’autres questions ont aussi été soulevées.

 Photos prises à 336 km de la comète
©ESA/Rosetta/Osiris/2015

Les dates clés de la mission

  • 02/03/2004 : lancement de la sonde pour 10 ans de voyage
  • 09/2008 : Survol de l'astéroïde Steins
  • 07/2010 : Survol de l'astéroïde Lutétia
  • 08/2014 : Rendez-vous avec la comète
  • 12/11/2014 : Déploiement de l'atterrisseur Philae
  • 14/11/2014 : perte de contact avec Philae
  • 30/09/2016 : Fin de mission

La comète à deux lobes… ou comète « canard »

Les images de la comète ont fait le tour du monde. Cette forme inhabituelle de canard en plastique a même suscité bien des réactions sur les réseaux sociaux. Mais d’un point de vue scientifique, c’est aussi une véritable surprise. « Cette comète double, à deux lobes, et au relief extrêmement tourmenté… on a tout de suite l’impression de l’accolade de deux objets différents ».

De nombreux articles scientifiques ont été écrits à ce sujet et le consensus est bien que Tchouri est le résultat du choc de 2 comètes plus petites. Un choc à faible vitesse qui ne les a pas détruites, mais qui a créé une surface de contact, le cou de Tchouri.

Une étude publiée en 2019 a étudié les fractures profondes et nombreuses qui marquent ce cou : le corps (grand lobe) et la tête de Tchouri (petit lobe) continuent à bouger l’un par rapport à l’autre. « Ce cisaillement provoque des failles qui fragilisent le matériau et font que le cou est la zone la plus active de la comète… et son point faible ! C’est par là qu’elle perd, même très loin du Soleil, beaucoup de matière. Un jour où l’autre, Tchouri finira par se casser en 2. »

La comète qui chante

Un magnétomètre de Rosetta a capté un bourdonnement à basse fréquence à mesure que la sonde tournait autour de la comète. Les scientifiques pensent que les interactions du vent solaire, constitué de particules chargées avec les jets de gaz et de poussière de la comète font varier le champ magnétique qui a été transposé en un faux son.

De l’eau et des molécules organiques carbonées, briques du vivant

De quoi Tchouri est-elle constituée ? C’était l’une des grandes questions de la mission. Et les données récoltées par les 4 instruments de Rosetta et les 3 instruments de Philae dédiés à cette tâche ont apporté leur lot de données, sans pour autant pouvoir répondre précisément à la question !

« Il y a des trous dans la raquette ! Philae et Rosetta n’ont pas pu tout mesurer. Mais on estime que globalement, la moitié du volume de la comète est constitué de molécules organiques carbonées, et que l’autre moitié est composée à parts égales de glaces et de silicates, » affirme Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au CNES.
Ce « trou dans la raquette » est notamment dû au fait que Philae, lors de son atterrissage mouvementé, a rebondi plusieurs fois avant de se poser de travers, ce qui a rendu plusieurs analyses impossibles.

Malgré tout, de grosses surprises attendaient les scientifiques.

« La première est de constater qu’il y a peu de glaces sur Tchouri par rapport à ce qu’on attendait, » ajoute Philippe Gaudon. Rosina, l’instrument dédié à l’analyse des gaz, a trouvé que la majeure partie de la glace était composée d’eau, avec des pourcentages variables de monoxyde (CO) et dioxyde de carbone (CO2), de méthane, d’ammoniac, en tout plus de 60 molécules et espèces identifiées.

Cette glace d’eau a été analysée, grâce à des mesures isotopiques (rapport deutérium/ hydrogène). « Cela signifie que nous avons étudié la façon dont les différentes molécules d’eau gèlent. Ce rapport D/H de l’eau est en quelque sorte une signature physico-chimique de son vécu. Et les résultats montrent que ce rapport isotopique est trois fois supérieur à celui présent sur Terre, » précise Francis Rocard. En clair ?

« La conclusion qu’on pourrait en tirer, c’est que ce ne sont pas des comètes de type Tchouri qui ont amené l’eau sur Terre… mais ce n’est pas si simple.» En effet, en juin 2019, une étude a montré que le rapport D/H dans les comètes dépend de leur taux d’activité. « Et si on tient compte de ce phénomène, l’eau des comètes est bien l’eau qu’on retrouve sur Terre ! ».

L’autre énorme surprise est la quantité très importante de matière organique (constituées de carbone, hydrogène, oxygène, azote, …). « La composition exacte de ces molécules lourdes est tellement complexe et fait intervenir un si grand nombre d’atomes qu’elle n’a pas pu être entièrement déterminée ! » ajoute Philippe Gaudon.  Parmi ces molécules complexes, Rosina, a quand même pu détecter de la glycine, un acide aminé bien connu sur Terre, une des molécules indispensables à la vie terrestre. 

 Si les comètes ont bien apporté l’eau sur Terre, cela signifie qu’elles ont aussi amené cette matière organique, ou « prébiotique », des macromolécules qui aurait contribué au développement de la vie sur notre planète 

Francis Rocard

Le chainon manquant entre le carbone et le vivant !

Comète flottante

La densité de Tchouri est de 0,5, soit la moitié de celle de l’eau : si on posait la comète au milieu de l’océan, elle flotterait beaucoup mieux qu’un iceberg (densité de 0,9) !

Du gaz à des milliards de kilomètres

Tchouri tourne autour du Soleil sur une orbite très elliptique, c’est une caractéristique de toutes les comètes à l’inverse des astéroïdes. Elle reste ainsi pendant plus de 5 ans dans une zone froide entre la ceinture d’astéroïdes et Jupiter, et juste 1 an, entre la Terre et Mars, dans une zone plus « chaude » proche du Soleil. « Ce n’était pas une surprise que ce chauffage fasse s’évaporer une partie du sol de la comète et se soulever de grandes quantités de poussières. Le résultat en est les magnifiques comas et queues de comètes que nous pouvons voir depuis la Terre, quelque fois à l’œil nu, » rapporte Philippe Gaudon.

L’étude de Tchouri nous a permis de mieux comprendre ces phénomènes de dégazages et cette activité cométaire. « Il y a un dégazage « de routine », si on peut dire, de gaz d’eau en majorité côté jour. Et puis de nombreux sursauts sous forme d’éruptions qui forment de magnifiques jets, matérialisés dans les images par la poussière que le gaz entraine à grande vitesse. »

Un article de 2019 relève plus de 200 de ces événements et explique l’origine de ces sursauts : ils seraient liés à des effondrements de falaise.

On savait depuis longtemps que les comètes avaient une part d’activité non prédictible mais cela restait très mystérieux. C’est grâce à Rosetta que nous avons pu déterminer cette corrélation avec des effondrements de falaise

Francis Rocard

Un autre article de 2019 s’est intéressé plus particulièrement à une zone très active de la surface, dans la région de la comète appelée Khonsu. Il montre que de très grandes quantités de matière ont été perdues par cette région pendant les observations de Rosetta. On peut estimer que si toute cette matière perdue par Tchouri était uniformément répartie sur la surface, c’est une épaisseur d’environ 40 cm qui a été perdue en 2 ans !


Comme un air de comète

Les comètes n’ont pas apporté que de l’eau ou des molécules organiques sur notre planète : elles nous ont aussi fourni une partie de notre air ! C’est ce que montre une étude parue dans Science en 2017. En analysant les rapports isotopiques du Xénon - un gaz rare présent dans notre atmosphère mais également dans la queue de la comète - les chercheurs ont montré que l'atmosphère terrestre actuelle provenait pour 22 % d’un apport cométaire !

Science comparée : comète vs astéroïdes

Difficile de citer toutes les découvertes qui ont été réalisées depuis le début de la mission, tant elles sont nombreuses. En 2019, ce sont encore quelques 50 articles scientifiques qui ont été publiés sur le sujet. Et l’exploitation des données pourrait se poursuivre encore pendant de nombreuses années, surtout avec les missions en cours vers d’autres corps célestes.

En effet, Hayabusa-2 (JAXA), lancé en 2014, et Osiris-Rex (NASA), lancé en 2016, sont les dignes successeurs de Rosetta. Ils ont pris respectivement la direction de Ryugu et Bennu, deux astéroïdes géocroiseurs (ce dernier étant un possible impacteur de la Terre).
Avec les résultats à venir de ces missions d’exploration, le scénario de l’évolution de notre système solaire depuis sa naissance il y a 4,56 milliards d’années jusqu’à nos jours ne sera sans doute bientôt plus un mystère.

Le rôle du CNES

La France et le CNES ont contribué à cette mission à plusieurs égards. Tout d’abord, sa contribution au budget de l’ESA qui a financé le développement de la plateforme de l’orbiteur, le lancement, les centres d’opérations associés RMOC et RSGS. Pour l’atterrisseur, le CNES était responsable du SONC (Science Operation & Navigation Center), a assuré la maîtrise d'ouvrage du dispositif d'imagerie CIVA, a fourni les piles et batteries, les moyens de communication entre Philae et Rosetta. Concernant l’orbiteur, le CNES a assuré la maîtrise d’ouvrage des instruments CONSERT et RPC-MIP, de parties très importantes d’autres instruments comme OSIRIS, VIRTIS, COSIMA ou ROSINA.

Au-delà de l’aspect opérationnel, le CNES était également en charge de la gestion et du traitement des données récoltées par Philae et une partie de celles récoltées par Rosetta. Toutes ces données ont été archivées sur la base de données Planetary Science Archive.

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