4 Octobre 2017

Rosetta et la matière organique des comètes

Il y a un an le 30 septembre 2016, la sonde Rosetta terminait sa mission autour de la comète 67P. D’après une étude basée sur ses résultats et parue le 31 août dans la revue MNRAS, les comètes sont constituées en grande partie de matière organique (constituées de chaînes d’atomes de carbone), à partir de molécules présentes dans le milieu interstellaire. Son auteur Jean-Loup Bertaux est planétologue, directeur de recherche émérite au CNRS au Latmos (Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales), nous en avons discuté avec lui.

Un nuage interstellaire de molécules organiques

En survolant la comète dénommée 67P/Churyumov-Gerasimenko dite « Tchouri », la sonde Rosetta a pu analyser la composition des grains de poussière qu’elle expulsait. À son bord, l’instrument COSIMA était équipé pour recueillir ces grains, examiner leur structure au microscope, et analyser la matière qui les constitue par spectrométrie de masse à temps de vol.

COSIMA a ainsi détecté des petits ensembles d’atomes de carbone et d’hydrogène, tels que C, CH, CH2, CH3, C2H3, qui sont des fragments de beaucoup plus grosses molécules organiques, selon les responsables de COSIMA.

« Il y a beaucoup de très grosses molécules dans la comète, commente Jean-Loup Bertaux. Les résultats de COSIMA, c’est que 40% de la matière de la comète Tchouri est faite de ces grosses molécules complexes. Ce qui représente 4 milliards de tonnes ! L’autre sujet important, ce sont les traces de ce genre de molécules que l’on retrouve justement dans l’espace interstellaire. C’est la spécialité de ma co-auteure et épouse Rosine Lallement (astrophysicienne à l’observatoire de Paris) qui travaille dans le domaine des Diffuse Interstellar Bands (DIB). »

Les DIB sont les bandes d’absorption de la lumière dans le milieu interstellaire : chaque élément chimique, chaque molécule peut absorber une partie de la lumière d’une façon qui leur est spécifique et les rend identifiables. C’est le principe de la spectroscopie d’absorption, qui permet grâce à la lumière d’analyser la composition de la matière, au laboratoire comme au télescope.

« Plus de 500 bandes ont été répertoriées en observant cet espace qui sépare les étoiles, poursuit Jean-Loup Bertaux. Nous sommes sûrs que ce sont de très grosses molécules organiques qui flottent dans l’espace, même si on ne sait pas encore les identifier. »

Parmi ces centaines de bandes, deux en particulier ont pu être reliées à une molécule organique connue. Il s’agit du fullerène C60, constitué de 60 atomes de carbone organisés en hexagones et en pentagones, comme un ballon de football en une sphère parfaite.

« La présence de fullerène C60 dans l’espace interstellaire a déjà été suggérée il y a 20 ans par Pascale Ehrenfreund (exobiologiste, actuelle directrice du DLR, agence spatiale allemande) et Bernard Foing (astrophysicien à l’ESA). Ils ont pu démontrer la coïncidence entre deux raies d’absorption de DIB et celles mesurées par ailleurs en laboratoire sur le C60. Et il y a eu d’autres travaux pour le confirmer donc son identification est quasiment sûre. »

Les comètes, source de carbone et de vie ?

De là à pouvoir dire que les comètes sont constituées des mêmes molécules carbonées que les DIB, il n’y a qu’un pas. C’est ce que proposent Jean-Loup Bertaux et Rosine Lallement, à la condition que ces molécules de l’espace interstellaire soient capables de s’agglomérer en comètes, tout en conservant la même structure.

« Il n’y a aucune raison d’invoquer un mécanisme spécial qui fabriquerait de la matière organique dans le système solaire au cours de sa formation : elle existait avant. Les comètes se sont formées dans un schéma d’accrétion hiérarchique, selon les observations de Rosetta : les petits grains se collent les uns aux autres, jusqu’au mètre et ainsi de suite jusqu’à la taille d’une comète. Les comètes se sont ainsi formées par accrétion non violente, et les molécules organiques ont pu subsister. »

« Notre conclusion, poursuit Jean-Loup Bertaux, c’est que les molécules du milieu interstellaire se retrouvent aussi dans le noyau des comètes. Une mission spatiale de retour d’échantillon cométaire pourrait intéresser non seulement tous les astronomes qui depuis 70 ans cherchent l’origine de ces DIB, mais aussi les astrobiologistes : nous savons que les comètes ont bombardé la Terre un peu après sa formation. Avec une quantité de matière organique telle que les 4 milliards de tonnes de Tchouri, il est tentant de penser que les comètes ont aidé à l’apparition de la vie, même s’il n’y a pas d’argument pour ou contre pour le moment. Mais si l’on considère que cet apport de matière organique a été déterminant pour la Terre, et puisque les DIB sont partout, cela voudrait dire qu’il y aurait beaucoup d’endroits dans l’Univers où la vie est apparue »

REFERENCES DE LA PUBLICATION

Jean-Loup Bertaux, Rosine Lallement; Diffuse Interstellar Bands carriers and cometary organic material., Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, stx2231, https://doi.org/10.1093/mnras/stx2231

Contacts

Contacts scientifiques :

  • Jean-Loup Bertaux, LATMOS : jean-loup.bertaux at latmos.ipsl.fr
  • Rosine Lallement, Observatoire de Paris : rosine.lallement at obspm.fr

Contact CNES :

  • Francis Rocard, responsable du programme système solaire, francis.rocard at cnes.fr