19 Novembre 2015

La reconstitution des rebonds de Philae pendant son atterrissage

L’ESA vient de rendre publique une animation, réalisée avec l’aide du CNES et de nombreux scientifiques, qui retrace ce que l’on sait aujourd’hui de l’atterrissage mouvementé de Philae sur 67P/Churyumov-Gerasimenko, le 12 novembre 2014.

Dès l’arrivée de la sonde Rosetta à proximité du noyau de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko au début du mois d’août 2014, la priorité a été donnée à la détermination du meilleur site d’atterrissage possible pour Philae. Quelques semaines plus tard, au terme d’un effort intense de toutes les personnes impliquées dans la mission, le site J, baptisé peu après Agilkia, a été choisi. Comme le rappelait alors Stephan Ulamec, responsable de Philae au DLR, le centre spatial allemand : « Nous l’avons vu sur les dernières images à haute résolution : le noyau est un monde merveilleux et impressionnant. Scientifiquement c’est passionnant, mais sa forme le rend particulièrement difficile d’accès. Aucun des sites présélectionnés ne remplit tous les critères opérationnels à 100 %, mais le site J est manifestement la meilleure solution. »

Situé sur le petit lobe, relativement plat et offrant une période jour/nuit permettant un rechargement correct de la batterie par les panneaux solaires de Philae, le site Agilkia aurait fort probablement permis la réalisation de la mission scientifique à long terme si l’atterrissage s’était déroulé correctement. Hélas, rien ne s’est passé comme prévu : au lieu de s’ancrer à la surface du noyau, Philae a rebondi à plusieurs reprises durant près de 2 heures avant de se stabiliser très loin du point d’atterrissage initial, dans un site dont les conditions d’éclairement était radicalement différentes et n’ont pas permis la réalisation de tous les objectifs scientifiques.



Le site J d'atterrissage de Philae rebaptisé Agilkia sur la comète 67P. Crédits : ESA/Rosetta/NavCam.

Philae aurait fait plusieurs tonneaux en touchant le sol

Lorsque l’on regarde l’animation réalisée à partir de la reconstruction minutieuse de cette phase cruciale de la mission, on ne peut pourtant que constater à quel point le simple fait de pouvoir obtenir des résultats a été le fruit d’un hasard incroyablement heureux. Éric Jurado, responsable des activités de mécanique spatiale au SONC qui a été fortement impliqué dans la réalisation de cette animation, tient cependant à préciser « qu’elle reflète l’état actuel de nos connaissances en ce qui concerne les mouvements de Philae. »

 Certaines parties (de la reconstitution) font l’objet de débats et nous avons encore du travail d’analyse à faire

En utilisant les données scientifiques collectées par les instruments SESAME, ROMAP, RPC-MAG, CIVA, CONSERT et MUPUS, les images à haute résolution de ROLIS et d’OSIRIS-NAC et les données fournies et calculées par les équipes du SONC (Science Operation and Navigation Center, au CNES de Toulouse) et du LCC (Lander Control Centre, DLR), il a donc été possible de reconstruire au mieux la trajectoire et les mouvements de Philae lors de son atterrissage et de ses rebonds. Après le 1er contact de ses 3 pieds avec le noyau (15h35 TU) et un long rebond durant lequel Philae était encore stable et bien orienté par rapport à la surface, il se serait apparemment mis à faire des tonneaux après que l’un de ses pieds ait heurté la bordure du bassin d’Hatmehit (16h20 TU) et, sans une 2e séquence durant laquelle il semble que le contact successif des 3 pieds avec le noyau (17h25 TU) l’ait remis pratiquement d’aplomb, Philae aurait eu toutes les chances d’atterrir à l’envers ou dans une positon totalement incompatible avec la réalisation de la séquence scientifique initiale.

Eric Jurado au SONC (Science Operation and Navigation Center, au CNES de Toulouse). Crédits : CNES.

Philae se met à tourner sur lui-même

Les images d’OSIRIS-NAC et de ROLIS ajoutées aux données collectées par les instruments SESAME, ROMAP et RPC-MAG ont permis de connaître très précisément le déroulement de la tentative d’atterrissage de Philae sur le site Algikia et de calculer les paramètres de la trajectoire du 1er rebond. Immédiatement après le contact avec la surface, le moteur d’entraînement de la roue à inertie qui stabilisait Philae lors de sa descente s’est arrêtée automatiquement comme il devait le faire une fois que l’atterrisseur aurait été ancré, mais celui-ci se trouvant alors en déplacement, il s’est produit un transfert régulier avec ralentissement de la roue et accélération de la rotation de Philae qui a finalement atteint près d’un tour par période de 13 secondes. Durant un peu moins d’une heure, l’attitude de Philae est restée relativement stable par rapport à la surface, jusqu’à ce que, vraisemblablement, l’un de ses pieds heurte un relief sur le bord du bassin d’Hatmehit (16h20 TU).

D’après les équipes de l’instrument ROMAP, les analyses approfondies des variations du très faible champ magnétique du noyau permettent d’émettre l’hypothèse que Philae aurait alors effectué des tonneaux. Pour Éric Jurado, il convient cependant de rester prudent :

 cette séquence doit encore être confirmée par l’étude des variations d’éclairement des panneaux solaires et par les pertes de communication.



Philae, finalement stabilisé dans une région incurvée de la comète 67P n'offrant pas les conditions d'éclairement optimales. Crédits : CNES/Ill. Mira productions.

Dans tous les cas, le mouvement désordonné de Philae semble avoir été arrêté par ce que l’on pourrait appeler son « 2e atterrissage » (17h25 TU), lorsque ses 3 pieds ont successivement touché la surface. Philae se serait alors retrouvé à peu près correctement orienté pour son 3e et dernier atterrissage (17h31 TU) contre la paroi photographiée peu de temps après CIVA sur le site baptisé depuis Abydos.

« Nous avons eu une chance incroyable, confirme Éric Jurado. Nous aurions très bien pu ne pas avoir de voie de communication entre Philae et l’orbiteur dont la trajectoire avait été optimisée pour le site Algikia. Donc, s’arrêter finalement à un endroit où il a été possible de faire fonctionner correctement pratiquement tous les instruments, de communiquer efficacement, de réaliser une 1ere séquence scientifique presque normale… Nous avons vraiment eu beaucoup, beaucoup, beaucoup de chance ! »